Dans le journalisme d’investigation, ce format peut être utilisé de plusieurs manières. Les newsletters peuvent être le moyen pour une rédaction de développer un modèle payant reposant sur un contenu pointu et spécialisé, ou pour des journalistes indépendants d’atteindre facilement une communauté de lecteurs intéressés par leur domaine d’enquête. Elles peuvent aussi permettre de raconter les coulisses d’enquêtes ou de donner des conseils aux lecteurs, de contourner la censure de gouvernements autoritaires ou de proposer des sélections éditoriales d’enquêtes à travers la curation.
GIJN a recensé cinq newsletters originales pouvant inspirer les journalistes autour du monde.
Gotham City : la newsletter experte
Créée en 2017 par deux journalistes d’investigation indépendants travaillant en Suisse Romande, cette newsletter hebdomadaire a eu un succès immédiat et est devenue une référence sur la criminalité économique en col blanc.
Gotham City Swiss newsletter“Au fil des années à travailler en tant que journalistes freelance, nous nous sommes familiarisés avec des sources judiciaires. Nous nous sommes dit qu’il y avait un réservoir de sujets qui n’étaient pas utilisés par la presse généraliste car trop spécifiques. C’est comme ça qu’on a eu l’idée de lancer notre propre publication”, explique François Pilet, journaliste suisse cofondateur de cette newsletter avec la journaliste française Marie Maurisse.
Alors qu’aux Etats-Unis, toutes les décisions judiciaires fédérales sont disponibles sur le site Pacer, retrouver des jugements en Suisse et en Europe est beaucoup plus complexe. “C’est un peu la débrouillardise, chaque tribunal a sa méthode pour rendre publics les jugements. Nous, notre expertise c’est de savoir chercher ces informations de la bonne manière”, ajoute Marie Maurisse.
Totalement indépendante, la newsletter redirige les lecteurs vers leur site web payant dont l’abonnement en Suisse coûte 99 CHF (environ 90 €). Aucune campagne n’a été faite sur les réseaux sociaux au moment du lancement de Gotham City. Les deux fondateurs disent avoir simplement fait une étude de marché et lancé les premiers bulletins d’information gratuitement à leur carnet d’adresse avant de leur demander de payer pour avoir accès à leurs informations. “Le bouche à oreille a très bien fonctionné”, se félicite François Pilet. “C’est ce qu’il y a de mieux car c’est un collègue ou un ami qui vous envoie un mail ; c’est plus efficace pour attirer l’attention que des campagnes sur LinkedIn hors de prix.”
autour du monde. Alors que les médias vénézuéliens sont très polarisés, fragilisés par la crise économique, et que le régime tente de contrôler les voix critiques, le travail d’investigation d’Armando.Info est fondamental et fait figure d’exception au Venezuela.
“La censure nous a obligé à chercher des alternatives pour que nos enquêtes atteignent le plus de lecteurs possibles” — Patricia Marcano
Depuis mi-2018, l’accès au site web d’Armando.Info est devenu de plus en plus difficile, si ce n’est impossible. Sous l’impulsion de Conatel, l’organe étatique qui contrôle le secteur des télécommunications au Venezuela, le site est bloqué par l’entreprise publique CANTV, le fournisseur internet ayant le pourcentage de pénétration le plus élevé de tout le pays, et subit constamment des attaques informatiques de types DoS depuis trois ans.
“Il n’est possible de nous lire qu’avec un VPN, mais bien que nous donnions continuellement des informations sur la façon d’utiliser cet outil, les lecteurs trouvent cela compliqué et nous savons que beaucoup finissent par abandonner Armando.Info pour cette raison. La situation nous a obligé à chercher des alternatives pour que nos enquêtes atteignent le plus de lecteurs possibles”, explique Patricia Marcano, coordinatrice de la rédaction.
santé internationales, dont l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la journaliste d’investigation indépendante a ainsi acquis avec le temps une expertise pour décrypter les politiques de santé internationales et les liens entre les intérêts privés et publics qui se jouent dans les couloirs feutrés de ces organisations. Un sujet crucial depuis le début de la pandémie de Covid-19, ce qui l’a encouragée à lancer sa propre publication sur ce sujet, Geneva Health Files, en avril 2020. “La santé mondiale est en train de subir des changements sismiques et cela doit être documenté de manière systématique et approfondie”, écrit-elle en guise de profession de foi dans le texte de présentation de sa lettre d’information.
Geneva Health Files newsletterGeneva Health Files est devenu une newsletter en août 2020. “J’étais certaine de m’engager avec des lecteurs fidèles et j’avais la la ferme intention de monétiser les contenus à terme”, explique Priti Patnaik. Aujourd’hui, mille lecteurs sont abonnés, dont “un bon pourcentage” sont des abonnés payants et Priti Patnaik revendique un taux d’ouverture de 50%.
Disclose : la newsletter utile
Le site d’investigation à but non lucratif français Disclose a lancé pendant le confinement une newsletter pédagogique dévoilant de nombreux conseils précieux pour les journalistes souhaitant se former aux techniques d’enquêtes en sources ouvertes. Disclose mentionne de nombreuses ressources utiles pour traquer en ligne les déplacements aériens ou maritimes, des techniques de recherches avancées sur Google, la recherche d’images inversées ou d’archives en ligne.
Dans la newsletter, l’équipe de Periodistas de a Pie sélectionne les cinq meilleurs reportages et enquêtes publiées dans les 13 médias locaux membres du collectif.
“Notre site web est le site d’une ONG, ce n’est pas un site d’information. La newsletter nous permet de relayer le travail journalistique de tous les membres de notre réseau”, explique Ernesto Aroche, membre du conseil d’administration de Periodistas de a Pie. L’objectif du réseau et de la newsletter est de décentraliser l’information. “Les membres de l’équipe sont basés dans différentes régions de l’intérieur du pays. Cela nous permet d’observer les problèmes existant au niveau local et de montrer que ces problèmes sont aussi régionaux et nationaux. Parfois, les médias dont le siège est dans la capitale ne voient pas ce qu’il se passe dans l’intérieur du pays”, ajoute Ernesta Aroche.
La newsletter compte aujourd’hui 690 abonnés, majoritairement des journalistes, mais le réseau souhaite viser une audience plus large.
Dans le même registre, la newsletter Border Hub relaie sobrement tous les jours une sélection d’articles sur la corruption, la sécurité ou la liberté d’expression ayant lieu à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.
Alors que les médias peinent à atteindre leurs lecteurs, la newsletter apparaît comme une opportunité unique et une manière simple d’établir un lien direct avec eux. “Le mail est sous-coté. Si les gens sont vraiment intéressés par ce qu’on fait alors ils accepteront de recevoir une fois par semaine un mail de notre part”, revendique François Pilet, de Gotham City.
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